Les BSPCE sont-ils une arnaque ?
L'histoire d'un sujet qui divise et que personne n'a réellement compris
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Comment dit-on déjà ? BPSCE ? SBSPE ? Pas loin, prononcez BSPCE pour Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous donner une leçon de finance. Pour comprendre les spécificités techniques des BSPCE je vous incite à lire le kit complet du Galion Project.
Vous êtes certainement quelques-uns à ne pas savoir de quoi il s’agit et nombreux à ne pas comprendre comment cela fonctionne. A tous les aspirants ou actuels employés de startups, nous parlons d’une manne financière énorme, mais virtuelle.
Derrière ce jargon imprononçable, il y a une initiative louable. Permettre à ses actuels et futurs salariés d’entrer à terme au capital de l’entreprise et de dégager des intérêts financiers suite à une levée de fonds ou la vente de celle-ci.
Les BSPCE donnent le droit d’acheter des actions à moyen ou long terme à un prix défini au moment de la souscription. Le prix d’exercice est le prix auquel vous pouvez acheter les actions à l’avenir. En France, il est défini par la dernière évaluation de la société, généralement sa dernière levée de fonds. Le but étant de les revendre à un prix supérieur à la mise de départ, pour dégager une plus-value.
Une carotte en soit, pour motiver les talents à rejoindre l’aventure et les inciter à rester le plus longtemps possible à bord. Un moyen aussi de combler la différence entre les moyens financiers de l’entreprise et la réalité du marché.
La guerre des talents est déclarée
Lorsque l’on parle d’innovation, l’accent est souvent mis sur le capital technique destiné à ce changement. En d’autre termes l’apport technologique, financier et structurel pour rattraper ou distancer ses concurrents. Tout cela n’a aucune utilité sans le capital humain.
Je me répète à chaque nouvelle publication, mais la technologie accélère autant l’évolution des usages de vos clients, que la rapidité avec laquelle de nouveaux acteurs investissent votre marché. Deux raisons qui poussent à s’armer le mieux possible pour faire face à ces contraintes. Cela commence par bien s’entourer.
Quel est le point commun entre Google, Netflix ou même Alan plus récemment, outre le fait que ce sont les entreprises les plus inspirantes de notre époque ? C’est leur collectif. La façon dont ils embarquent leurs collaborateurs, dont ils les stimulent et dont ils les valorisent.
Vous connaissez tous l’ami d’un ami qui est ingénieur chez Google dans la Silicon Valley et qui gagne 200.000 ou 300.000 euros par an. Une somme astronomique, qui n’a rien d’extraordinaire dans l’écosystème local. Pourquoi ? Parce que les compétences requises sont mouvantes et les talents sont souvent rares, y compris sur d’autres métiers que ceux très prisés de l’ingénierie.
L’entreprise innovante se rapproche d’une équipe sportive. C’est avec un collectif composé d’individualité de qualité qu’elle pourra se démarquer. Le salaire doit être à la hauteur sous peine de voir partir le talent chez le concurrent, mais cela ne suffit pas et fonctionne dans les deux sens. Le manager (le coach) échange les talents (joueurs), il les déplace au fil du temps, pour s’assurer du meilleur résultat. Quitte à s’en séparer.
Aujourd’hui, les entreprises en pointe s’affrontent donc de façon visible sur le terrain de l’innovation, mais aussi de façon invisible sur le terrain du recrutement. Ils misent sur un principe inventé en 1968, celui de la « rock star », qui consiste à recruter une personne extraordinaire pour faire le travail de plusieurs, tout en la rémunérant de façon significative. C’est ainsi que Netflix ne compte que 10.000 employés dans le monde pour 25 milliards de dollars de chiffre d’affaires. En guise de comparaison Renault réalise 43 milliards de revenus, soit moins du double, avec 200.000 employés. Les deux industries sont incomparables et nous ne parlons pas des bénéfices, mais vous voyez là où je veux en venir.
Cette guerre des talents est propice à une surenchère sur les salaires. Sauf que pour une majorité d’entreprises en France, le salaire d’un excellent développeur ou responsable produit équivaut à une part importante de son chiffre d’affaires. Un recrutement en ce sens pourrait passer, deux mettraient sérieusement l’entreprise en danger, etc. De l’autre côté, les candidats eux ne se contentent plus de missions intéressantes, avec un fort niveau d’autonomie et des perspectives d’évolution. Ils veulent se sentir concernés. Pour recruter les meilleurs et prétendre à une croissance rapide, ainsi que la première place sur son marché il faut un petit plus. C’est là qu’interviennent les BSPCE.
Pourquoi des BSPCE plutôt que des actions gratuites ou stock-options ? Parce que cela permet à l'entreprise de bénéficier d'un certain nombre d'avantages, que seules les BPSCE offrent. Notamment d'être exonéré de charges patronales.
Demain, tous actionnaires de notre entreprise ?
Pour se donner l’opportunité d’être très compétitif, de plus en plus d'entreprises ouvrent donc leur capital à leurs collaborateurs. Parmi les exemples les plus cités, la startup Alan qui intéresse l'ensemble de ses salariés sous forme de BSPCE. Selon son fondateur Jean-Charles Samuelian, en rejoignant ce type d'aventure professionnelle, on accorde beaucoup de passion et d’énergie, ce qui justifie d'être actionnaire de ce succès actuel ou à venir.
Sauf que tout le monde n’est pas Alan. La startup a déjà réalisée plusieurs levées de fonds de 12, 23, 40, 50 et 185 millions d’euros, bouclées entre 2016 et 2021. Elle bénéficie d’un fort potentiel de croissance et de spéculation sur sa valeur future, ce qui rend l’attribution de BSPCE intéressante pour les salariés.
✔️ La probabilité de chance que l’entreprise poursuive sa croissance est plus forte qu’une dégringolade ou stagnation.
✔️ La valorisation de l’entreprise suite à ses levées de fonds est mesurable et offre un point de repère aux salariés détenteurs de bons de souscription.
✔️ La communication de l’entreprise sur les conditions d’exercice est claire et structurée pour accompagner les collaborateurs au long cours sur ce sujet.
✔️ Les BSPCE ne sont pas un substitut, mais un complément du salaire. Ce dernier étant d’ailleurs aligné aux prix du marché.
Ces quatre indicateurs vous montrent que les BSPCE ne sont pas adaptées à tous les niveaux de maturité et de fonctionnement d’entreprises, mais peuvent être un levier de fidélisation très efficace.
Payez les gens à leur juste valeur
Le dernier point est d’ailleurs celui qui m’a inspiré le titre de ce billet et qui contribue à nuire à la réputation des jeunes pousses. En 2021, on dénombre de plus en plus de dérives liées au BSPCE.
Allouer des BSPCE ne doit pas être du simple opportunisme pour capter des talents. Cela se réfléchit, se structure et s’alloue de façon méthodique. Commencez par payer les gens à leur juste valeur et ne marchandez pas une partie de leur salaire contre des BSPCE. Les profils qui vont vous rejoindre ont une valeur sur le marché, si vous n’êtes pas capables de les payer à leur juste valeur et de leur proposer en plus des BSPCE, soit vous n’avez pas les moyens de les recruter, soit vous êtes tout simplement avare. Soyez patients, réalistes ou aller chercher des capitaux externes pour vous aider.
En parlant de capitaux externes (banques, fonds d’investissements, etc), comme pour les actions gratuites, allouer des BSPCE dilue le capital ce qui n’est pas sans risque surtout lorsqu’il faudra financer la revente des titres. Il convient donc de contrôler ces émissions et de ne pas les proposer à tout va.
Cela étant dit, le plus gros problème avec les BSPCE ce n’est pas d’en obtenir, c’est de les activer. Evidemment, les conditions d'exercice dépendent du pacte d’associés que vous signerez (encore faut-il le signer). Certaines entreprises vous offriront une liberté totale d’exercer votre droit à la moindre opportunité, d’autres vous laisseront dans le plus grand flou. Sachant que ces titres sont sans aucune liquidité et leur valeur peut facilement être manipulée en votre défaveur. C’est ainsi que 75% des détenteurs de BSPCE n'activeront jamais leurs bons de souscription.
Accepter des BSPCE c’est un pari intéressant, mais non sans risques. Dire à ses futures et actuelles recrues qu’en acceptant, ils deviennent actionnaires de l’entreprise est totalement faux. Un actionnaire est libre, il bénéficie d’une plus grande souplesse pour entrer et sortir du capital, influence les décisions de l’entreprise et peut toucher des dividendes le temps de sa présence au capital, etc. Un détenteur de BSPCE est virtuellement actionnaire, il n’a aucun pouvoir de décision et subit le calendrier imposé par les actionnaires. S’ils décident par exemple de changer les conditions d’exercice, ils peuvent sans grande difficultés.
Notez également que lorsque vous acceptez des BSPCE, vous n’avez quasiment aucune chance de les activer et de les revendre avant la vente de l’entreprise. Encore faut-il qu’elle soit vendue un jour, à un montant au-dessus de la valorisation, lors de votre souscription. L’“exit” de startups, comme on les appelle, est rare en France, donc les chances de réaliser une sortie financièrement intéressante reste mince.
Voilà pourquoi les BSPCE ne doivent pas être un substitut d’une partie de votre salaire, mais un complément pour maximiser votre engagement vis-à-vis de l’entreprise.
En bref, les BSPCE jouent un rôle décisif dans la démarche de fidélisation de talents. Elle nécessite un certain nombre de pré-requis et ne sont donc pas adaptées à toutes les entreprises. Avant de proposer ou d’accepter des BSPCE assurez-vous de pouvoir combler les quatre points évoqués plus hauts.
Quel potentiel de croissance et de spéculation ? La valorisation est-elle mesurable ? L'entreprise a-t-elle proposé un pacte d'associé clair, sur lequel elle serait prête à communiquer en externe ? Le salaire proposé est-il impacté par la proposition de bons de souscriptions ?
L’horizon semble quant à lui s’éclaircir pour les deux tiers de détenteurs en incapacités de les exercer avec l’arrivée de places de marché permettant d'acheter et vendre des actions, dont les BSPCE, plus facilement. Parmi ces acteurs il y a Caption Market.
Plutôt que de m’étaler sur le sujet, j’ai demandé à Quentin Lechemia, le co-fondateur de Caption Market de m’expliquer pourquoi sa place de marché apporte une solution au problème que je viens de vous évoquer.
Ma vision des BSPCE, par Quentin Lechemia
Aujourd'hui, il faut à la fois éduquer les fondateurs d'entreprises - qui ne cernent pas toujours les tenants et aboutissants des BSPCE - comme les salariés qui ne perçoivent pas la valeur ajoutée des BSPCE. Il n'est pas rare de discuter avec des salariés qui préfèrent avoir des tickets restos plutôt que des BSPCE. Il faut les comprendre, c'est bien plus tangible pour eux. Pourtant, l'exercice de leur BSPCE pourrait leur apporter 10.000€ ou même 50.000€ par an.
Avec Caption Market, nous permettons à tout actionnaire de revendre des actions au prix qu'il souhaite et quand il le souhaite. Soit l'actionnaire est fondateur. Dans ce cas, il liste sa startup directement sur la plateforme et permet à tous les actionnaires de la société de vendre des actions. Soit l'actionnaire est salarié. Dans ce cas, nous faisons une revue de ces documents (mini pacte, pacte, contrat de BSPCE). Si les conditions sont valides, nous intégrons la vente à la plateforme. Notre communauté d'investisseurs est alors dans la capacité de se positionner sur la vente au montant demandé par le vendeur.
La plupart des entrepreneurs que nous rencontrons jouent le jeu. Mais nous en rencontrons aussi qui sont encore réticents à permettre à des actionnaires de librement disposer de leurs actions, même si nous respectons toutes les clauses inhérentes au pacte d'actionnaires. C'est pour ça que nous avons aussi fait le choix de travailler en direct avec les salariés. Et cela nous arrive de voir des clauses aberrantes dans certains pactes, de sociétés prônant pourtant des valeurs qui en réalité ne respectent pas en interne. On espère changer la donne sur le comportement d'une petite partie de l'écosystème qui aurait tendance à oublier certains principes.
Quentin Lechemia est co-fondateur de Caption Market
Vous pouvez contacter Caption Market ICI et écrire à Quentin LA.
Dans la prochaine édition, je vous propose de parler de l’Europe avec un grand E. Le vieux continent n’a pas su se positionner sur les premières révolutions numériques, au détriment des Etats-Unis et de la Chine. Vous connaissez tous Alibaba, Google ou Facebook. En revanche, pouvez-vous me citer un géant technologique européen ? Nous nous intéresserons aux prochaines révolutions à venir et à la façon dont l’Europe pourrait tirer son épingle du jeu.
Pensez-vous que l’Europe puisse encore trouver sa place face au duopole sino-américains ? Quels sont les principaux enjeux stratégiques dans les dix prochaines années ? Votre avis m’intéresse, n’hésitez pas à me le partager en réponse à cet email.
A la semaine prochaine.