Pensez à votre héritage, devenez une méduse !
Ou comment créer une entreprise immortelle au XXIème siècle
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L'entrepreneuriat semble désormais s'apparenter à un sprint alors que chez nos aînés, il ressemblait plutôt à un marathon. Comme évoqué la semaine dernière (lire ici), la technologie crée des contraintes qui poussent de plus en plus les entrepreneurs à aller vite, quitte à y laisser des plumes. Leur indépendance et donc leur héritage sont ainsi mis en péril.
Lorsque l’on demande aux entrepreneurs de notre époque ce qui les motive au quotidien. Ils répondent quasi-unanimement “faire bouger les choses”, “dépoussiérer un marché”, ou “prendre une revanche sur la vie”. De nobles raisons, mais très peu répondent “pour l’héritage que je laisserai”. Evidemment, nous sommes influencés encore aujourd’hui par de défunts révolutionnaires tels Nikola Tesla ou Alan Turing. Nous le sommes aussi par des immortels comme Thierry Hermès et Auguste Pavin de Lafarge, dont le point commun a été de laisser un héritage aujourd’hui encore vivant et au cœur de l’économie française et internationale.
Quelle trace laisseront les licornes d’aujourd’hui dans 50 et 100 ans ?
Il suffit d’observer l’évolution idéologique des GAFA pour comprendre l’impact que peut avoir une dilution de capital et donc une perte de contrôle. Ils étaient promis à un destin d’immortalité en initiant une nouvelle ère “technologique” dont nous ne sommes qu’aux prémisses. Nées pour chambouler le monde et léguer un héritage mémorable, ils sont hélas aujourd’hui victimes de l’innovation et se rabaissent à la quête du profit à tout prix. Révolutionnaires au début des années 2000 ils sont aujourd’hui considérés comme des ennemis du peuple pour beaucoup, devenant même pour certains pires encore que les entreprises qu'ils sont nés pour disrupter. Excepté Facebook, leurs fondateurs ne sont plus aujourd’hui impliqués dans les opérations. Les GAFA ont ainsi abandonné l’idée d’un héritage.
Ils continueront d’influencer nos modes de vies et de bouger les lignes, mais ne peuvent plus espérer atteindre une pérennité, un ancrage et une vision à 50 ou 100 ans. Leur structure existera certainement encore demain, mais leur héritage lui aura disparu.
L’héritage ce n’est pas seulement développer puis léguer un capital financier, c’est surtout l’idéation puis la légation de valeurs telles que l’autonomie, la créativité et l’engagement, couplés à une capacité à se projeter à long terme pour rendre intemporelles ses valeurs.
La course perpétuelle à la croissance et à la performance est évidemment compatible avec cette quête d’héritage. L’égo a énormément de bons côtés et vous permettra d’enfoncer rapidement des portes, l'humilité vous offrira autant de perspectives, notamment celle de prendre suffisamment de recul pour vous construire sur des bases solides et durables.
En 2018, lorsque je rencontrais pour la première fois un entrepreneur, aujourd’hui membre du Next 40, j’ai pris conscience de l’absence du besoin d’héritage d’une partie de la nouvelle génération d’entrepreneurs. Nos échanges, aussi plaisants fussent-ils, se sont uniquement concentrés sur la dimension capitalistique de sa jeune entreprise. Une fois parti, j’étais capable de vous parler de longues minutes de sa vision financière à 10 ans, de l’élévation à la revente, j’étais en revanche incapable de vous expliquer concrètement ce qu’il faisait. Le positif de cette histoire, c’est qu’il a su atteindre, en quelques mois, les objectifs énoncés et ainsi créer de la valeur en recrutant des centaines de personnes, le point négatif, c’est qu’il est bien parti pour perdre le contrôle progressivement de sa création. Pourquoi ? Parce que rien n’est gratuit et à moins d’être patient, un gros chèque appelle systématiquement à une dilution de sa participation au capital et donc un début de perte de contrôle. Cette dernière réduit à néant les chances de créer son propre héritage.
L’approche familiale et immortelle est-elle envisageable pour les entrepreneurs des générations X ou Y ? Facebook sera-t-il encore un géant de la communication dans 100 ans, tout en conservant son esprit initial ? Je l’espère pour les premiers, j’y crois de moins en moins pour le second.
N’aspirez pas à être une licorne, soyez une méduse
Les succès les plus valorisés au XXIème siècle sont, à juste titre, ceux d’entreprises citées ci-dessus, capables de s’attaquer à un marché (ou de le créer) et de le transformer en un temps record, en devenant leader en 5 ou 10 ans, là où les acteurs historiques ont mis 30, 50 ou même 100 ans pour y parvenir. Un phénomène tellement rare qu’on qualifie les principaux concernés de licorne. La chasse à la licorne s’est généralisée au point d’être pratiquée par les investisseurs, industriels, politiques et publicitaires. C’est ainsi que nombreux sont ceux qui tentent de mettre la main sur une licorne (entendez investir ou acquérir) pour s’assurer une manne financière prometteuse, tandis que d’autres aspirent à s’afficher à ses côtés pour bénéficier d’une cure de jouvence. Dans les deux cas, on vise l’immortalité par procuration.
Les licornes représentent 0,1 % du total des entreprises sur notre territoire. Elles sont 13 en France pour environ 10.000 aspirantes startups. Autant vous dire que vos chances d’entrer dans ce cercle très fermé est mince. Pour autant, faut-il laisser tomber ou revoir ses ambitions ? Absolument pas. Une autre voie est possible. Moins clinquante, mais plus durable. La licorne est belle et scintillante, mais elle est fragile.
Que diriez-vous de devenir une méduse ?
Il vous faudra certainement plus d’une vie pour y parvenir, mais n’est-ce pas le principe de l’héritage ? Amorcer, puis structurer, de sorte à ce que malgré votre absence, votre héritage perdure. Si je vous parle d’immortalité, c’est en référence à la méduse turritopsis nutricula, qui vieillit normalement puis, arrivée à un certain âge, se met à rajeunir jusqu’à retourner au stade équivalent à la puberté. Hermès est une méduse de 184 ans, née avec Thierry Hermès et qui s’est régénérée maintes fois depuis. L’entreprise est ainsi devenue l’un de nos joyaux tricolores.
Évidemment, l’innovation c’est une course à 5-10 ans, mais qu’en restera-t-il dans 50 ans ?
Créer des licornes est un sprint utile pour notamment permettre à l’Europe et à la France de continuer à exister à l’échelle internationale. En parallèle, offrons l’opportunité à de futures méduses de se lancer dans un marathon dont ils ne verront pas la fin, mais qu’ils pourront laisser en héritage à une nouvelle génération attachée à préserver ses valeurs et sa capacité à entreprendre.
La semaine prochaine, je vous propose de parler des BSPCE.
De plus en plus de salariés se laissent séduire par ces bons de souscriptions, en espérant profiter d’un joli chèque à moyen ou à long terme. Cet outil est très efficace pour engager et fidéliser les talents jusqu’à une éventuelle levée de fonds ou la vente de l’entreprise. L’écosystème entrepreneurial français compte déjà quelques exemples de salariés ayant fait fortune grâce à cette solution. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à témoigner de ses faiblesses. Entre la méconnaissance de son fonctionnement et la malhonnêteté de certains dirigeants, le sujet est épineux. D’ailleurs, en France, deux détenteurs de BSPCE sur trois ne les activeront jamais.
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N’hésitez pas non plus à me partager les sujets que vous aimeriez voir traités dans les semaines à venir.
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A la semaine prochaine.
J’aime bien l’idée de méduse …
Et en face de fragile, existe la notion de ANTIFRAGILE que nous devons à Nicholas Taleb !
Bonsoir Vincent, il y a beaucoup de vrai dans tes remarques. Dans le monde hyper connecté, rapide et médiatisé qu'est le notre, on a plus que jamais besoin de totems, de symboles...Al 'heure où l'on parle de réindustrialisation de la France et de l'Europe, avec une boutade , on pourrait dire qu'un arbre qui pousse fait plus de bruit qu'une foret qui tombe....Un ami à moi, directeur d'un start up studio, parle d'élevage de poulains. Moi je parle d'ETIs, toi de méduses...Nous partageons le meme constat. Et aussi les memes interrogations. Dans ce monde du juste à temps, la transmission, l'ancrage de valeur, demande du temps, de la perspective...Bien plus qu'un Business Plan à 5 ans. Revoir le rapport au temps, seul moyen pour qu'une méduse gagne en consistance avec les années qui avancent?